Mes livres

lundi 4 janvier 2021

Une insomnie féconde

Je ne m’endormais pas, je me suis levée avec l’intention de faire un peu de ménage dans mon bureau. J’ai sorti de mon placard une chemise dans laquelle il y avait des articles de revues que j’avais conservés parce que je les trouvais intéressants. Évidemment, plutôt que de jeter ces articles, je me suis mise à les lire. J’en ai jeté très peu.

Cette nuit-là, j’ai relu en diagonale une entrevue avec l’auteure de Femme qui court avec les loups, la psychanalyste jungienne Clarissa Pinkola Estés. Elle parle de l’artiste blessée, une créatrice, visionnaire, écrasée par une culture qui considère l’art comme un à côté. Elle applaudit les femmes qui ont propulsé leur œuvre dans l’espace public. C’est une double réussite, affirme-t-elle, elles sont parvenues à créer et elles ont échappé à un monde qui favorise l’uniformité.

Quelques lignes m’ont particulièrement touchée.

 «... parfois, la timidité d’une femme, son hésitation à montrer son travail, est le symptôme d’une blessure. Elle est réticente à exposer sa création car elle la considère inachevée… Une femme qui peine à mettre son œuvre au grand jour a probablement été contaminée, elle a intériorisé une voix intérieure menaçante qui lui a fait croire qu’à moins de présenter une œuvre parfaite, il serait humiliant pour elle de la lancer dans le public... »

« Il y a plusieurs façons de recadrer cela. Il faut avant tout trouver votre véritable voix, créer une œuvre qui soit la plus personnelle possible. S’il n’y a pas d’issue pour votre voix, vous devez en créer une. Par exemple, récemment, j’ai encouragé des femmes dans la communauté psychanalytique professionnelle à cesser d’attendre après leurs revues professionnelles, à cesser d’attendre le sceau d’éditeurs aux goûts étriqués, à cesser d’attendre tout court, pour publier leur travail… Attendre d’être reconnues, entendues, publiées, rend les femmes plus silencieuses encore… Avec la technologie moderne, elles peuvent imprimer leur texte, le brocher, le publier, et le partager avec le monde extérieur. »

« J’encourage aussi les femmes à citer le travail d’une autre femme lorsqu’elles écrivent leur essai. Cela a le même effet que des femmes qui travaillent ensemble sur une courtepointe; chacune fait son travail individuellement, mais toutes travaillent ensemble pour créer une œuvre beaucoup plus vaste. »

J’avais bien besoin d’entendre ces paroles qui sont une approbation, une bénédiction même pour le chemin que j’ai moi-même emprunté depuis quelques années. J’aime beaucoup cette dernière image de la courtepointe collective. Je fais partie de ces femmes qui travaillent ensemble pour créer une courtepointe.

Bien contente d’avoir conservé cet article, et ce ne sera pas cette fois-ci que je le jetterai, car il est encore d’actualité. Et je vais peut-être relire Femmes qui courent avec les loups.

 New Age Journal November/ December 1992 

Femmes qui courent avec les loups

Clarissa Pinkola Estés 




Mes trois contes